NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DU
PREMIER MINISTRE JEAN CHRÉTIEN
à l'occasion des
Cérémonies d'ouverture du Sommet de la Francophonie
Cotonou, Bénin
Monsieur le Président de la République béninoise,
Mesdames et Messieurs les Chefs d'État et de gouvernement,
Mesdames et Messieurs les Chefs de délégation,
Mesdames et Messieurs,
C'est pour moi un immense honneur et un plaisir de
participer en Afrique à mon premier Sommet de la Francophonie en qualité de Premier
ministre du Canada.
Monsieur le Président Soglo, permettez-moi de remercier
votre peuple et votre gouvernement pour leur chaleureux accueil. Nous savons qu'aucun
effort n'a été ménagé pour faire honneur à la riche tradition d'hospitalité de votre
pays.
Au nom de toutes les Canadiennes et de tous les Canadiens,
je vous en remercie.
Je voudrais également vous dire toute l'importance que
mon gouvernement attache à la Francophonie, à son développement et à son renforcement.
Il existe au Canada un consensus plus large que jamais, sur l'importance d'une action
soutenue et dynamique de notre pays au sein de la Francophonie.
Vous connaissez bien la vitalité des francophones du
Canada. Vous connaissez l'acharnement que nous mettons à préserver notre langue et notre
culture sur un continent ou une personne seulement sur 40 parle le français.
La force et la vigueur de la participation canadienne au
développement de la Francophonie dépendent aussi de l'action interne de nos
gouvernements. Et je suis fier à ce titre d'avoir été membre du gouvernement qui a
donné au français, il y a déjà longtemps, son statut de langue officielle à
l'échelle de tout le Canada, en ce qui concerne les institutions fédérales.
Aujourd'hui, plus que jamais dans l'histoire de notre
pays, un nombre grandissant de Canadiens le parlent, qu'il s'agisse de leur langue
maternelle ou non.
Pendant l'année scolaire en cours, 305 000 élèves non
francophones participent à des cours d'immersion en français -- un chiffre record -- et
plus de 2 millions d'autres étudient le français comme langue seconde.
Dix années seulement se sont écoulées depuis le premier
Sommet de la Francophonie et on peut dire que chacun des Sommets suivants a su répondre
avec réalisme aux enjeux du moment. Le Sommet de Paris en 1986 a matérialisé le rêve,
en créant avec imagination les premières fondations de la francophonie politique. Celui
de Québec en 1987, a donné lieu à un effort marqué de solidarité avec le Sud.
En 1989, le Sommet de Dakar a procédé à un premier
véritable élargissement des thèmes abordés, comme par exemple les inégalités
économiques et sociales et la protection de l'environnement.
Deux ans plus tard à Paris les thèmes de la démocratie,
des droits de la personne et de la bonne gouvernance, jusque là abordés avec une
certaine timidité, ont occupé une place centrale.
Quant au Sommet de l'Île Maurice il y a à peine deux
ans, il aura été celui de l'appui de la Francophonie à l'exception culturelle un
concept étendu au GATT après sa reconnaissance dans les accords de libre échange
nord-américains à l'initiative du Canada. Rappelons aussi que le thème central du
Sommet de l'Île Maurice était " L'unité dans la diversité ", une
notion qui se voulait garante du respect des minorités.
Monsieur le Président, on le voit, patiemment, de Sommet
en Sommet, la Francophonie élargit sa vision du monde et de sa propre Communauté, tout
en se donnant à chaque fois une cohérence accrue et une action de plus en plus
pertinente.
J'entrevois l'avenir avec optimisme parce que j'ai la
conviction que, forts de ces acquis précieux, nous saurons continuer à progresser pour
assurer la croissance et la vigueur de la Francophonie. Tout comme nous avons su répondre
aux exigences des années passées, nous saurons trouver aujourd'hui les réponses aux
défis à venir.
Dans l'immédiat, trois de ces défis m'apparaissent
interpeler, de façon particulièrement pressante, tant la Communauté internationale que
celle qui nous rassemble ici à Cotonou.
Le premier correspond à la nécessité urgente de
procéder à la réforme des systèmes et institutions multilatérales internationales. Il
y va de la stabilité économique, et donc politique, de la planète entière. J'ai eu
l'occasion en tant que Président du Sommet du G-7 à Halifax en juin dernier, d'animer un
débat approfondi et sérieux sur cette question.
Le Président Chirac prendra bientôt la relève en vue du
Sommet de Lyon dans quelques mois. Je me suis entendu avec lui à Halifax pour souligner
qu'il est impératif que cette réforme comprenne aussi une revue des institutions
responsables de l'aide internationale.
Nous avons tous intérêt, quelque soit notre situation
économique et financière, à travailler à la mise en place du plus large consensus
possible sur ces questions. Il y a là une occasion de rôle original pour notre Sommet.
Nous discuterons de ce thème et j'ose espérer que nous pourrons, à notre mesure,
contribuer à avancer vers ce consensus qui pourra seul assurer le succès de cette
difficile entreprise.
Nous sommes également préoccupés par la réforme de
l'Organisation des Nations unies qui est en crise. Comme vous le savez tous, après 50 ans
d'existence, sa modernisation est maintenant pressante.
La crise financière profonde qu'elle traverse est devenu
son problème le plus urgent. Il est plus que temps que les pays membres qui ne paient pas
leur cotisation régularisent leur situation. J'ai d'ailleurs eu l'occasion d'en discuter
la semaine dernière avec le Secrétaire général Boutros Boutros-Ghali.
Une certaine décentralisation des agences de l'ONU
représente une des avenues de solution à ces problèmes. Le Canada est d'ailleurs prêt
à accueillir l'une d'entre elles et à faire tout le nécessaire pour que cette
opération soit un succès.
Notre deuxième défi a trait à une autre impérieuse
nécessité: celle pour la Francophonie de faire entendre davantage sa voix et de faire
sentir sa présence face à un environnement international où l'on assiste à la
multiplication des conflits régionaux et nationaux.
Les événements tragiques qui ont secoué certains pays
de notre Communauté depuis le Sommet de l'Île Maurice, il y a deux ans, interpellent la
Francophonie et la mettent en demeure d'accentuer son action politique dans le monde et
plus particulièrement auprès de ses États membres.
Je pense que la Francophonie peut jouer un rôle plus
actif dans la prévention des crises et des conflits qui touchent ses États membres. Et
il est temps, je crois, qu'elle se penche plus activement sur les moyens à déployer pour
jouer un rôle utile en la matière.
Le Canada a pris l'initiative d'organiser en septembre
dernier, à Ottawa, une réunion de hauts fonctionnaires et de spécialistes en diplomatie
préventive des pays membres de la Francophonie, en vue de définir une approche commune.
Dans la foulée de cette rencontre, mon pays a présenté cet automne aux Nations unies
les résultats d'une étude canadienne sur la mise en place, au sein de l'ONU, d'une
capacité de réaction rapide.
Je serais heureux de partager avec vous la réflexion
canadienne sur ces questions, dans l'espoir de dégager ensemble un consensus. Je demeure
persuadé que si nous arrivions à une base d'accord au cours de ce Sommet, nous pourrons
jouer un rôle plus efficace pour promouvoir la paix et la sécurité, comme nous y a
invité le Secrétaire général Boutros Boutros-Ghali dans son " Agenda pour la
paix ".
Le tout se ferait bien entendu en complémentarité du
travail des organisations déjà existantes telles l'ONU et l'OUA par exemple.
Monsieur le Président, pour prévenir les conflits qui
frappent des populations civiles innocentes de nos États membres, je crois que nous
pouvons faire beaucoup. En effet, la Francophonie se doit de continuer à s'investir dans
les grandes questions sociales et économiques de notre temps.
Elle doit promouvoir l'ouverture des marchés, développer
le secteur privé, alléger le fardeau de la dette des plus pauvres et appliquer des
politiques novatrices en matière de promotion des femmes et des jeunes.
Monsieur le Président, le troisième et dernier défi de
la Francophonie que je voudrais aborder ici transcende les deux premiers. Ceux-ci ne
doivent en effet pas être traités de manière isolée, c'est-à-dire hors du cadre des
grands objectifs essentiels à la survie de notre Communauté en tant que telle.
Je me réfère à la consolidation, à l'épanouissement,
et au rayonnement de cette langue " que nous avons en partage ". Et à
travers elle à la promotion des grandes valeurs d'humanisme et de solidarité qu'elle
véhicule.
Concrètement, il s'agit pour la Francophonie de mieux se
servir à ces fins d'outils qu'elle s'est déjà donnés. Comme notre télévision
internationale, TV-5, qui projette partout l'image d'une Francophonie vivante et dynamique
aux multiples visages. Comme l'Agence de coopération culturelle et technique, notre
unique organisation de solidarité intergouvernementale dont nous fêtons les 25 ans, et
qui nous propose une programmation plus solide et plus dense que jamais. Tout cela sans
parler de nos instruments de coopération universitaire qui, en stimulant notre
imagination et notre capacité d'innovation, ouvrent à notre communauté des horizons de
modernité immédiate.
II nous faut rendre vraiment planétaire la diffusion de
TV-5 et mieux s'en servir pour soutenir et répandre la langue française.
II nous faut apporter davantage d'attention à
l'éducation de base et à l'enseignement technique et professionnel, et utiliser le mieux
possible les méthodes de plus en plus efficaces d'éducation a distance.
II est évident qu'il nous faut également promouvoir, par
des moyens modernes et adaptés, nos industries culturelles de langue française.
Voilà autant d'activités directement reliées à la
consolidation de ce qui forme le tissu premier de la Francophonie. Au delà de ce que nous
faisons déjà, le Canada proposera au cours de ce Sommet des idées et initiatives
nouvelles visant à faire avancer les actions déjà bien amorcées dans chacun de ces
domaines.
La langue française est un véhicule avec lequel de
nombreux peuples, les nôtres, ont tracé le chemin de leur histoire. À l'heure de la
mondialisation, ce chemin est devenu une autoroute, celle de l'information.
Une autoroute qui doit s'imbriquer dans un réseau routier
extrêmement complexe, où cette langue que nous partageons doit faire sa place pour ne
pas être marginalisée . La Francophonie doit prendre l'offensive.
L'expansion phénoménale des technologies informatisées
des communications transforme littéralement les frontières physiques et géographiques
de nos pays en frontières virtuelles. Le mot frontière lui-même devient caduque à
partir du moment où il ne représente plus une ligne arrêtée dans le sable. La ligne
bouge toujours à la recherche d'un nouveau mot pour la définir.
Monsieur le Président, je souhaite que l'on se souvienne
du Sommet de Cotonou comme celui où la Francophonie aura affirmé sa détermination de
prendre résolument l'autoroute de l'information.
Celui où, en conjugant nos efforts, nous aurons entrepris
vraiment d'en faire bénéficier tous nos pays. Celui où nous aurons choisi de ne pas
rater cette occasion unique pour nous rapprocher et nous enrichir les uns les autres en
Francophonie.
Mais celui aussi où, par la même occasion, nous aurons
multiplié notre potentiel d'interaction avec le reste de la planète en nous donnant
meilleur accès à ce que d'autres peuvent avoir à nous offrir, et en leur offrant en
retour ce que nous avons de mieux.
Ce faisant, nous nous doterons d'abord d'un moyen
collectif pour faire ensemble un formidable saut dans la modernité. Puis nous rendrons
service à tous ceux qui, comme nous, en s'affirmant, veulent préserver leurs propres
spécifités culturelles.
Monsieur le Président, ces défis sont certes de taille.
La tâche qui nous attend peut paraître énorme. Je crois néanmoins fermement que la
Francophonie peut se donner les moyens de l'accomplir, pour le plus grand bénéfice des
citoyens de tous nos pays.
Je me réjouis d'ailleurs que ce Sommet soit appelé à
enfin entériner une idée chère au Canada: la nomination par le prochain Sommet d'un
Secrétaire général de toute la Francophonie, dans le cadre de la Convention de Niamey
et sur la base de la Charte de l'Agence de coopération culturelle et technique.
Forte d'une légimité interne incontestée et je
l'espère d'un nouveau dynamisme, la Francophonie pourra ainsi bénéficier davantage de
la reconnaissance internationale et surtout de la crédibilité que son développement
ultérieur exige.