Lettre de René Lévesque à Pierre Elliott Trudeau
Pendant la campagne référendaire de 1980, le premier ministre du Canada, Pierre Elliott Trudeau, à la tête des forces fédéralistes, avait déclaré qu'un Non à la souveraineté signifierait un Oui au changement. Suite à la victoire du non, ce dernier entreprend son projet de changement qui est d'ouvrir le dossier constitutionnel de concert avec les premiers ministres des provinces, ainsi que le rapatriement de cette dernière au Canada . Au projet proposé par Pierre Trudeau, toutes les provinces, sauf l'Ontario et le Nouveau-Brunswick, s'y opposeront d'emblée. Au Québec, le groupe Solidarité-Québec remet au premier ministre du Québec, René Lévesque , une pétition contenant les signatures de 715 000 Québécois qui s'opposent au rapatriement unilatéral de la Constitution canadienne et à son amendement sans l'accord du Québec. Le dossier va jusqu'à la Cour Suprême, qui rend un jugement favorable au projet du premier ministre du Canada. C'est à la suite de ce jugement, que René Lévesque envoi une lettre au premier ministre Trudeau pour y faire part de ses vues sur le sujet.
Monsieur le Premier Ministre, Le moment est venu, me semble-t-il, de vous dire très clairement où nous en sommes,
ici à Québec, en ce qui touche une situation constitutionnelle qui résulte
essentiellement de vos agissements. D'autant que l'avis récent de la Cour suprême vient
d'y apporter ce qui, jusqu'à nouvel ordre, en constitue la plus logique en même temps
que la plus impensable conclusion. Ainsi donc, comme le tribunal nous l'a appris, le Québec ne possède pas, et n'a
jamais possédé de droit de veto - de nature conventionnelle ou autre - propre à le
protéger de modifications constitutionnelles effectuées sans son consentement, affectant
ses droits, pouvoirs et compétences. [
] S'il plaît à la Cour suprême de consacrer judiciairement cette entente nocturne
signée il y a un peu plus d'un an entre les gouvernements anglophones du Canada et le
vôtre, soit. Mais je dois vous informer que le Canada Bill n'en demeure pas moins
foncièrement illégitime, et par conséquence absolument inacceptable aux yeux du
Québec, de son gouvernement et j'en suis convaincu, de l'immense majorité des
Québécois. Il sera donc impossible pour tout gouvernement digne de ce nom au Québec
d'accepter une telle réduction draconienne et unilatérale des pouvoirs de notre
Assemblée nationale, et de se voir imposer une formule d'amendement ne lui accordant
aucune protection véritable pour l'avenir. L'Assemblée nationale a déjà énoncé, en décembre 1981, les conditions auxquelles
cette loi constitutionnelle britannique pourrait devenir acceptable. En premier lieu, la
loi constitutionnelle doit reconnaître non seulement l'égalité des deux peuples
fondateurs mais également le caractère distinctif de la société québécoise. En
deuxième lieu, en vue d'assurer l'épanouissement de cette société, le mode
d'amendement de la Constitution canadienne doit reconnaître au Québec un droit de veto
général ou un droit de retrait assorti de la pleine compensation financière dans tous
les cas (droit de veto spécifique, ou "qualifié", selon l'expression du
ministre fédéral de la justice). Enfin, toute charte canadienne des droits ne doit en
aucune façon avoir pour effet de modifier les compétences législatives de l'Assemblée
nationale,, notamment en ce qui concerne la langue d'enseignement et pour ce qui a trait
à la liberté de circulation et d'établissement. [
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