Manifeste du Rassemblement
Le Rassemblement se dit un mouvement d'éducation et d'action démocratique sans aucunes affiliations à un parti politique et dont l'intention première est de fournir au peuple du Québec le milieu et les instruments nécessaires à l'acquisition d'une solide formation politique. C'est dans cette optique qu'est écrit, en 1956, le Manifeste du Rassemblement.
CONSTITUTION
Le Rassemblement a pour but de rassembler les citoyens désireux de construire dans cette Province une société vraiment démocratique qui apportera à ses problèmes économiques, politiques et sociaux des solutions conformes à la déclaration de principe formulée au Congrès de fondation du 8 septembre 1956 (... ).
Le Rassemblement n'est pas un parti politique ni seulement une ligue de moralité politique. Il n'est affilié à aucun parti politique.
Le Rassemblement est un mouvement d'éducation et d'action démocratique dont l'intention première est de fournir au peuple du Québec le milieu et les instruments nécessaires à l'acquisition d'une solide formation politique.
Dans la poursuite de ses objectifs, le Rassemblement se propose:
de respecter les droits de toutes les classes de la société;
de rechercher principalement l'appui des classes laborieuses;
d'établir un mode de financement principalement par les cotisations individuelles de ses membres qui assure son indépendance et lui permette de rechercher en tout le bien commun.
PRINCIPES
Les principes sur lesquels le rassemblement basera son action sont les suivants:
Les hommes vivent en société afin que chacun puisse se réaliser au maximum. L'autorité politique n'a de justification que pour permettre l'instauration et le développement d'un ordre qui favorise une telle réalisation.
Dès lors que les citoyens ont conscience d'être mal gouvernés, par une autorité devenue trop puissante, ou trop faible, ou mal orientée, ils ont le droit d'opérer un changement. La supériorité de la démocratie sur les autres formes de gouvernement consiste précisément en ce que cette forme de gouvernement, sollicitant périodiquement le consentement explicite des citoyens, écarte la nécessité de changements violents.
Dans l'État démocratique, le citoyen consent à être gouverné par un ensemble de lois qui aura été voulu par le plus grand nombre, compte tenu du respect dû aux droits de la minorité. En particulier, chacun doit toujours rester dépositaire de certains droits inaliénables: liberté de presse, de parole, d'expression (presse, radio, etc.), d'assemblée et d'association; égalité de tous devant la loi; droit de n'être pas privé de sa liberté ou de ses biens sans recours à un système judiciaire impartial et indépendant.
Dans un pays comme le nôtre, le citoyen vit dans un réseau d'institutions sociales, économiques et administratives, si complexes qu'il y perdrait vite sa liberté et serait partout commandé contre son gré, s'il ne se donnait comme protecteur et serviteur un État assez fort pour surveiller toutes les institutions inférieures et les ordonner au bien commun. Le problème central pour le citoyen reste alors de contrôler cet État.
La démocratie parlementaire permet d'assurer un tel contrôle en faisant porter le consentement des gouvernés sur des ensembles d'hommes et d'idées, formant les partis politiques, plutôt que sur chacun des problèmes techniques que pose l'art de gouverner. Le rôle des partis est donc de poser devant l'électorat - pour que son consentement soit éclairé - les alternatives véritables par où le pouvoir peut s'engager pour garantir le bien commun et assurer le respect des libertés individuelles et collectives. Et le rôle des élections est d'assurer - par le suffrage universel, libre, égal et secret - l'égalité de tous les citoyens devant la boîte à scrutin, de sorte que leur consentement à l'autorité soit efficace en même temps qu'éclairé.
Une véritable conscience politique ne naîtra qu'à l'instigation d'un vaste mouvement d'éducation politique qui rende le peuple conscient de ses pouvoirs et le mette en état de bien les exercer.
LE SYSTÈME ÉCONOMIQUE
Le but de toute activité économique étant la satisfaction des besoins humains, il suit que la société doit s'organiser pour tirer des ressources disponibles le meilleur résultat possible pour l'ensemble de la population.
Une économie humaine doit abolir l'exploitation de l'homme par l'homme, partager équitablement entre les citoyens les accroissements de production et de loisirs.
Ce résultat sera atteint:
par la stabilisation de l'emploi au niveau le plus élevé possible,
par la meilleure utilisation possible des ressources naturelles,
par la mise en oeuvre des moyens technologiques aptes à assurer la plus grande productivité possible,
par la répartition la plus égale possible des fruits et des fardeaux, résultant de l'activité économique, entre tous les membres de la collectivité
4. Les impératifs de la productivité peuvent, à un moment donné, se trouver en conflit avec les objectifs, d'un autre ordre; le choix doit alors être libre et conscient, et se référer à une échelle de valeurs qui tient compte de tout l'humain.
5. Sur le plan de la production, l'initiative privée et la propriété privée, l'initiative mutualiste et la propriété coopérative, l'initiative publique et la nationalisation ne sont que des moyens au service des objectifs économiques et humains, et doivent être évalués comme tels.
6. Il est impossible de prévoir, et avec exactitude, les structures économiques idéales qu'il faudrait mettre en place. Le schéma idéal est celui qui, étant donné les principes généraux énoncés ci-dessus, s'adapte le mieux aux conditions et besoins du moment. Cependant dans nos sociétés hautement industrialisées, l'initiative privée laissée à elle-même, ne peut garantir la prospérité commune. Celle-ci ne peut être assurée sans planification.
LE SYSTÈME SOCIAL
Pour que l'organisation économique et politique puisse tendre effectivement vers le développement intégral de la personnalité de tous les citoyens, il doit exister un ensemble de relations sociales entièrement respectueux de la personne humaine.
Tous les citoyens sont solidaires devant les adversités qui frappent l'un ou l'autre des secteurs de la société. Par conséquent, le système social doit être tel qu'il assure, à tous, l'entière possibilité de bénéficier d'un niveau de vie convenable.
Le travail étant le moyen naturel d'assurer ce niveau convenable, le droit au travail et sa juste rénumération doit être garanti à tous. Ce droit entraîne comme conséquences:
pour les travailleurs en général;
l'égalité des travailleurs, sans distinction de sexe, de religion et d'origine ethnique;
la liberté pour les travailleurs de décider à quelles conditions ils offriront leur travail, de même que la liberté d'adhérer au syndicat de leur choix.
Pour les agriculteurs et les artisans qui tirent leur subsistance de la vente de leurs produits ou de leurs services;
l'assurance de marchés stables;
la liberté de se grouper dans des associations syndicales et coopératives de leur choix.
4. Pour prévenir la déshumanisation du travail, conséquente à l'industrialisation, il faut tendre vers la démocratisation de l'entreprise.
5. Un programme complet de sécurité sociale devrait assurer à tout citoyen qui serait privé, par nature ou par accident, de la capacité de travailler ou de subvenir seul à ses besoins, un standard de vie convenable.
6. Dans l'appréciation des normes applicables au niveau de vie, il ne faut jamais oublier que la famille constitue la cellule sociale de base et que toute personne -jouissant de l'âge et des facultés requises - doit avoir les moyens de se marier et d'élever convenablement une famille.
LE SYSTÈME ÉDUCATIF ET CULTUREL
Une société qui tend au développement intégral de la personnalité humaine doit faire la place très large aux besoins de l'esprit; la fon-nation intellectuelle du citoyen est désirable en elle-même; de plus, elle constitue la première richesse d'une société et conditionne l'avancement de la communauté dans tous les domaines.
Le citoyen a donc le droit primordial d'accéder à tous les échelons de l'enseignement et à tous les instruments de culture selon ses capacités et talents, sans distinction de fortune ou d'état civil.
Si l'État démocratique, représentant la volonté générale des citoyens, a le devoir de fixer les cadres et de pourvoir au financement d'une politique éducative et culturelle, il importe néanmoins, d'éviter toute ingérence partisane. L'élévation du niveau intellectuel suppose l'introduction d'un climat de liberté à tous les échelons de l'enseignement. Le même climat de liberté doit entourer les modes d'expression culturelle.
LE SYSTÈME NATIONAL ET INTERNATIONAL
Quels que soient les mobiles qui amènent les hommes à se grouper en sociétés distinctes, l'ultime allégeance de chacun est au genre humain. Les hommes de tous les pays sont solidaires les uns des autres et, en cas de besoin, ils doivent se porter un secours fraternel.
Au stade actuel de leur développement, les sociétés humaines s'organisent juridiquement et agissent collectivement sous forme d'États. Chaque État peut constituer le cadre politique d'une société nationale (ethnique) ou d'une société multinationale.
Le développement du sens de responsabilité démocratique commande la plus grande décentralisation de l'autorité politique. De plus, dans le cas des sociétés multinationales, les diverses cultures ont droit à leur libre épanouissement.
La fonction du fédéralisme est précisément de concilier la plus grande décentralisation possible avec l'unité d'action qui est nécessaire à la juste gouverne et à la prospérité de tout le pays. La loi fondamentale du fédéralisme est la collaboration des diverses unités politiques entre elles.
RASSEMBLEMENT ET MORALITÉ
Le Rassemblement n'est pas une ligue de moralité. Il approuve et encourage le travail de ces ligues mais il va plus loin. Il veut non seulement que la moralité et les lois soient respectées, mais il veut que le Québec soit doté de lois démocratiques.
Source: Le Devoir, 14 septembre 1956, p. 1 tiré dans Daniel Latouche et Diane Poliquin-Bourassa, Le manuel de la parole, manifestes québécois, Tome 2 1900 à 1959, Montréal, Éditions du Boréal Express, 1978, pp. 307-310.
Numérisé par Igor Tchoukarine, Université de Sherbrooke