Manifeste pour la défense du Canada
Devant la pression exercée par l'Angleterre lors de la Deuxième Guerre mondiale, le premier ministre du Canada, W. L. Mackenzie King revient sur sa promesse, en 1942, de ne pas imposer la conscription obligatoire dans la population canadienne. À cette occasion, le gouvernement fédéral tient un plébiscite dans lequel il demande à la population de pouvoir être dégagé de sa promesse. Les Canadiens votent majoritairement pour désengager King de sa promesse alors qu'au Québec la population s'oppose massivement (71%) au projet de conscription obligatoire. C'est dans ce contexte que la Ligue pour la Défense du Canada publie un manifeste anti-conscription afin d'encourager la population à s'opposer à la demande de conscription formulée par le gouvernement de Mackenzie King.
En forme de plébiscite le gouvernement d'Ottawa posera prochainement aux électeurs de ce pays une grave question: "Consentez-vous à libérer le gouvernement de toute obligation résultant d'engagements antérieurs qui restreignent les méthodes de recrutement pour le service militaire?"
La " Ligue pour la Défense du Canada" demande que la réponse à cette question soit NON. Un NON digne, mais ferme, sans équivoque. Qu'on ne parle point de manuvre inopportune ou intempestive. Pour se faire relever de ses engagements, le gouvernement a cru devoir recourir à une consultation populaire. C'est donc le droit de tout citoyen libre d'orienter l'opinion et de répondre au plébiscite, selon son jugement et sa conscience, sans se faire taxer pour autant d'antipatriotisme ou de dangereuse agitation. Se défendre et défendre son pays n'est jeter le défi à personne ni s'agiter indûment. La " Ligue" estime, au contraire, qu'en cette heure chargée de menaces, nulle province et nul groupe ethnique ne sauraient s'abstenir ou se taire, par opportunisme ou par peur, sans manquer à un grave devoir et sans se résigner équivalemment à la démission politique.
La réponse au plébiscite doit être: NON. Pourquoi? Parce que nul ne demande d'être relevé d'un engagement s'il n'a déjà la tentation de le violer, et parce que, de toutes les promesses qu'il a faites au peuple du Canada, il n'en reste qu'une que M. King voudrait n'être plus obligé de tenir: la promesse de ne pas conscrire les hommes pour outre-mer.
Or nous ne voulons pas de la conscription pour outre-mer:
- parce que, de l'avis de nos chefs politiques et militaires, le Canada est de plus en plus menacé par l'ennemi et que notre premier et suprême devoir est de défendre d'abord notre pays;
- parce que, selon les statistiques données par les fonctionnaires du recrutement et par le gouvernement lui-même, le volontariat fournit encore, en février 1942, deux fois plus d'hommes que n'en peuvent absorber nos diverses armes;
- parce qu'un petit pays, de onze millions d'habitants, dont l'on prétend faire le grenier et l'arsenal des démocraties ou des nations alliées, ne peut être, en même temps, un réservoir inépuisable de combattants;
- parce que le Canada a déjà atteint et même dépassé la limite de son effort militaire. et que, victorieux, nous ne voulons pas être dans une situation pire que les peuples défaits;
- parce que, comparativement à sa population et à ses ressources financières, le Canada a déjà donné à la cause des Alliés autant, à tout le moins, qu'aucune des grandes nations belligérantes;
- parce qu'aucun de ces grands peuples n'a encore pris, - que nous sachions - la détermination de détruire sa structure interne et qu'en rien responsable de la présente guerre, le Canada n'a pas le droit ni encore moins l'obligation de se saborder.
Ce n'est donc point comme province ni comme groupe ethnique que nous prenons position. Si nous refusons de relever le gouvernement de ses engagements de 1939 et de 1940, nous le faisons comme citoyens du Canada, plaçant au-dessus de tout l'intérêt du Canada. Il existe, en ce pays, estimons-nous, une majorité de Canadiens pour qui le Canada est la patrie et pour qui la consigne: CANADA D'ABORD ou Canada FIRST, n'a jamais été un simple cri électoral, mais l'expression d'un sentiment profond et d'une suprême conviction de l'esprit. Nous faisons appel à tous ceux-là. Nous leur demandons de mettre la patrie au-dessus de l'esprit de race ou de l'emportement partisan. Veulent-ils poser un acte qui arrête la course à l'abîme et qui atteste avec force la voix de la majorité d'un océan à l'autre? Qu'au plébiscite de M. King, avec tout le calme et toute la force d'hommes libres, ils répondent par un NON retentissant.
Que Dieu garde notre pays! Vive le Canada!
Source: Le Devoir, 7 février 1942, p. 1 tiré dans Daniel Latouche et Diane Poliquin-Bourassa, Le manuel de la parole, manifestes québécois, Tome 2 1900 à 1959, Montréal, Éditions du Boréal Express, 1978, pp. 203-204.Numérisé par Igor Tchoukarine, Université de Sherbrooke