La déclaration du premier ministre Robert Bourassa suite au jugement de la Cour suprême concernant l'affichage au Québec
Le premier avril 1977, le Parti québécois de René Lévesque publie son «Livre blanc» dans lequel il est question de l'état du français au Québec. Les conclusions annoncent une Charte de la langue française qui contribuera à renforcer la place du français au Québec. Dès le 26 août de la même année, l'Assemblée nationale adoptera cette charte plus connue sous le nom de loi 101. S'ensuit un série de batailles judiciaires et manifestations publiques demandant des modifications à cette loi. Dans ces batailles, la Cour suprême du Canada se prononcera, en 1988, sur les articles 58 et 69 de la Charte de la langue, soit l'interdiction de l'usage d'une autre langue que le français dans l'affichage commercial. La déclaration du premier ministre du Québec, Robert Bourassa, s'inscrit à la suite de ce jugement et témoigne d'un respect de la pratique démocratique.
Mesdames et Messieurs, en m'adressant aussi à mes concitoyens,
je suis ici cet après-midi pour commenter les conclusions du jugement de la Cour suprême
jugement qui, comme on le sait, a été rendu public jeudi dernier et qui traitait de
certains articles de la loi 101. Pour ce qui a trait à l'enjeu, c'est-à-dire la question de l'affichage, la conclusion
de la Cour suprême s'est exprimée en quelques mots en accordant la nette prédominance
à la langue française mais sans prohibition. Dans son esprit, je crois que cette
conclusion du plus haut tribunal du pays représente la volonté ou le point de vue de la
grande majorité des Québécois. Nous voulons tous au Québec - et j'inclus les
minorités non francophones - protéger, promouvoir la langue et la culture françaises
puisqu'il s'agit là d'une caractéristique fondamentale de notre pays et qui lui donne
son originalité. En même temps, nous voulons respecter les libertés fondamentales,
éliminer, dans la mesure du possible, cette prohibition qui existe actuellement dans la
loi. Un exemple concret que je donne constamment: je trouve très difficile à justifier
qu'on empêcherait un commerçant, à l'intérieur de son commerce, alors qu'il doit
accepter que la langue française soit prioritaire, obligatoire, prédominante, qu'on
l'empêcherait d'utiliser sa propre langue, sous peine de poursuites devant les tribunaux.
Je crois que sur ce point, la grande majorité des Québécois est prête à faire preuve
d'ouverture. Les juges interprètent la loi; le gouvernement doit l'appliquer. En pratique, après
examen de la situation, nous avons conclu que la nette prédominance qui est accordée à
la langue française par la Cour suprême est difficilement applicable dans l'affichage
extérieur. A toutes fins utiles, cette nette prédominance pourrait nous conduire au
bilinguisme intégral, qui n'est pas la formule préférée de la plupart des Québécois. Conclusion: Nous considérons que l'affichage extérieur, pour respecter l'esprit du
jugement de la Cour suprême, devrait être uniquement en français. Mais que par
ailleurs, à l'intérieur des commerces, la prohibition qui existe actuellement d'afficher
en d'autres langues que le français, pourrait être éliminée. Nos aviseurs juridiques
ont examiné le jugement de la Cour suprême et ont examiné la formule qui était notre
formule préférée; affichage extérieur uniquement en français puisqu'il représente le
visage du Québec, le visage français du Québec, et le respect des libertés
fondamentales à l'intérieur des commerces. Nos aviseurs, presque unanimement, ont conclu
que ceci nous conduirait très rapidement à aller devant les tribunaux et à reprendre
encore une fois le débat juridique que nous connaissons depuis plusieurs années. Il y
avait une alternative, une alternative qui est proposée par la Cour suprême elle-même
dans son jugement: "Utiliser, si c'est dans l'intérêt public, une clause
dérogatoire." La Cour suprême dit même que c'est un exercice légitime dans
certaines circonstances. L'utilisation de cette clause dérogatoire doit être évidemment
limitée, mais dans le cas qui nous intéresse, elle nous donne la sécurité juridique
dont nous avons besoin pour appliquer le programme du Parti libéral et pour appliquer un
programme qui reflète la volonté de la plupart des Québécois. C'est évidemment une
décision très difficile puisqu'il nous faut concilier à la fois la protection de la
culture française qui est, évidemment, un objectif absolument essentiel et vital pour le
Québec et pour le Canada et, en même temps, le respect des droits individuels. En fait
même, nous avons au Québec deux organismes très crédibles dans l'ensemble de la
population et auprès de tous les partis: la Commission des droits et des libertés et le
Conseil de la langue française. Dans les deux organismes, nous avons, comme on le sait,
des recommandations qui sont divergentes, celles de la Commission des droits et des
libertés ayant été exprimées il y a quelques années. Quelle est donc la décision la
plus juste? Le français est menacé, a dit la Cour suprême. Eh bien, qui peut le mieux
et doit le plus sinon celui qui vous parle, en raison même de ses fonctions, promouvoir,
défendre et protéger la culture française? J'ai donc proposé au gouvernement, qui l'a
endossé, et à mes collègues du caucus et au conseil général, la formule que vous
connaissez maintenant et qui permettrait, à l'intérieur des commerces, l'élimination de
cette prohibition mais qui maintiendrait 1'unilinguisme français pour l'extérieur. Aucun
commerçant ne sera forcé, d'aucune façon, d'utiliser une autre langue que la sienne. Le français pourra être appliqué d'une façon unilingue dans tous les commerces,
mais la prohibition d'utiliser une autre langue sera éliminée à l'intérieur. Gouverner, c'est choisir. Nous avons fait ce choix et, nous en sommes convaincus, un
choix qui va dans le sens de la solidarité et de notre histoire.